Préface

Pour continuer à assurer la fourniture des services collectifs à la communauté, les pouvoirs publics perçoivent des impôts auprès de la population. Les montants collectés couvrent les dépenses de l’Etat et des collectivités territoriales pour l’aménagement, la construction, l’entretien et la gestion notamment des routes, des écoles, des hôpitaux ainsi que pour la conduite d’autres activités publiques de toutes natures.

 

Le paiement des impôts est alors est un acte civique qui témoigne de la volonté de celui qui y est astreint, de participer pleinement à la vie nationale et collective. Sans ces impôts, une grande partie de la population serait privée de certains services et prestations élémentaires.

 

Quel que soit le montant de l’impôt versé (que le montant soit élevé ou pas), la contribution participe à la mise en œuvre des politiques publiques et au développement du pays. Il est regrettable que les citoyens ne soient pas suffisamment informés sur la question. La concrétisation du « rêve » de André Lemercier Georges de publier le présent Guide pratique du contribuable, pour mettre à la disposition des citoyens un instrument de référence, leur permettant de mieux comprendre la nature et l’étendue de leurs contributions auprès de l’Etat et des collectivités territoriales, vise à combler ce vide anormal. Un tel ouvrage est d’autant plus important et utile qu’il émane d’un des plus grands serviteurs de l’Etat, lequel a marqué positivement son passage dans la fonction publique nationale, particulièrement dans la sphère se rapportant à la gestion des finances publiques.

 

S’il est vrai que l’expression de l’allégeance au pouvoir souverain, par le biais du paiement de l’impôt, apparait comme une aliénation de ses libertés individuelles au profit des autorités, il est tout aussi correct que les ressources financières nécessaires au fonctionnement des services publics proviennent principalement de l’impôt qui représente, par son caractère fondamentalement équitable, le socle d’une Nation solidaire. Le Guide pratique du contribuable participe à l’esprit de rassurer le citoyen en le mettant particulièrement au fait du fondement de sa contribution et de la justesse de son recouvrement.

 

L’apparence gratuite de certains services publics, du fait que le paiement ne soit pas effectué directement pour une prestation ou pour un service, semble parfois nous faire perdre de vue que le paiement de ses redevances fiscales est une mise au pot pour un collectif d’interventions compensatoires. S’il faudrait payer individuellement pour avoir accès aux services et prestations élémentaires auxquels nous ne faisons même pas attention, les coûts seraient nettement plus élevés car il faudrait supporter, entre autres frais, les marges bénéficiaires des entreprises privées qui fourniraient de tels services, contrairement aux pouvoirs publics dont les activités ne visent pas en principe le profit.

 

Quoi qu’il en soit, les citoyens doivent faire face aux dépenses de plus en plus élevées de la vie quotidienne. Le paiement des impôts n’est donc pas au centre de leurs priorités. Il est donc normal qu’ils questionnent en permanence la gestion des recettes perçues. Ainsi, la généralisation d’actes de corruption et l’absence de transparence dans les dépenses publiques augmentent leurs réticences à verser leurs contributions.

 

La perception de l’impôt est plus supportable lorsqu’elle est issue du consentement ou tout au moins, lorsqu’elle est couverte d’une certaine légitimité. Au delà de la simple diffusion des règles relatives à la quotité, à l’assiette et aux procédures, les autorités se doivent d’orienter le débat autour de la transparence, l’utilité de l’impôt, ainsi que les facteurs qui soutiennent la répartition des dépenses publiques. Ainsi, les changements intervenus au fil des années peuvent être mieux appréhendés. Conséquemment, le système fiscal du pays sera plus sain et plus solide et les violations pourraient être réprimées avec plus de pertinence.

 

La fraude fiscale et la corruption sont les deux faces d’une même médaille. Elles constituent un frein au développement économique et social. En conséquence, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales doit être concomitante à la lutte contre la corruption. Les deux fronts conduisent à une augmentation et à une plus grande disponibilité des recettes nationales. Le renforcement des institutions de perception et la modernisation de la politique fiscale pourront alors occasionner une plus grande mobilisation des ressources nationales. La démocratie elle-même s’en trouvera renforcée puisque l’Etat et les collectivités territoriales, organes principalement concernés par la perception, rendront mieux compte aux contribuables et aux citoyens en général. Le présent Guide pratique du contribuable fournit un luxe de détails sur la vérification, la fraude fiscale ainsi que les sanctions qui en découlent.

 

Par son caractère fondamentalement pratique, l’ouvrage s’adresse au contribuable ordinaire, particulier et entreprise, dans un langage clair et concis qui ramène une science opaque à la portée commune. Loin de se demander si la prestation pécuniaire qui lui est exigée par un fonctionnaire, souvent dans un langage nécessitant un traducteur avisé, correspond à la volonté du législateur, le commun des contribuables s’en trouve éclairé de verser le montant exact de sa participation à la couverture des charges publiques. Ce qui lui met alors à l’abri de toute concussion. Il se sent alors protégé dans ses droits, surtout que l’ouvrage lui permet de connaitre ou de mieux connaitre, suivant le lecteur, la réalité du contrôle fiscal et les mécanismes et modalités de recours pouvant être intentés s’il désire contester son imposition.

 

Le Constitution haïtienne organise un Etat fort. Aussi est-il nécessaire que la charge fiscale soit suffisante pour un niveau optimal des dépenses publiques. La mise en place progressive des institutions prévues à l’effet de la mise en action de cet Etat nécessite l’augmentation continue des dépenses publiques pour faire face aux nouveaux besoins de plus en plus croissants. Le livre d’André Lemercier Georges représente un coup de pouce aux pouvoirs publics dans la recherche de ces moyens en mettant à disposition l’information sur les différentes manières de fixer et de payer l’impôt. Ceci favorisera, à coup sûr, une meilleure disposition des citoyens à effectuer sans rechigner le paiement de leurs redevances fiscales.

 

L’originalité de ce Guide pratique du contribuable se retrouve également dans sa plus grande accessibilité. Il permet une meilleure compréhension non seulement des concepts mais aussi de leurs implications dans la bourse du contribuable. La préparation de sa déclaration définitive d’impôt sur le revenu peut désormais, en majeure partie, être effectuée avec plus de facilité. L’ouvrage démystifie la chose fiscale aux yeux du citoyen. Il est d’utilisation simple, à l’image d’un vadémécum. Il peut être tenu comme un ouvrage de « fiscalité haïtienne pour les nuls ».

 

La considération ci-dessus ne préconise pas pour autant la fin d’une profession : celle de fiscaliste. Cependant, son travail en sortira mieux compris et apprécié par les contribuables, étant donné que l’ouvrage d’André Lemercier Georges, outil indispensable à la fois pour le professionnel et le non initié à la chose fiscale, pourra lui servir de manuel de référence.

 

Cela dit, il demeure un fait que les fonctionnaires des institutions fiscales doivent être mieux formés et mieux payés, ce pour permettre la collecte effective des impôts déjà existants et ensuite de penser à l’élargissement des bases d’imposition pour pouvoir compter sur plus de ressources fiscales.

 

Une meilleure connaissance de la question fiscale entraine d’énormes moyens supplémentaires pour l’Etat et les collectivités territoriales. Elle diminue la fraude et l’évasion fiscales. Néanmoins, ces résultats positifs ne seront atteints que si la justice fiscale est renforcée et que parallèlement les autorités pratiquent une gestion publique saine, responsable et efficace. Comme de fait, l’impunité renforce les fraudeurs ainsi que leurs pratiques asociales.

 

L’Etat fort requis par la Constitution n’a jamais pu être mis en place. La multiplication des administrations et instances de décisions, devrait être accompagnée d’un accroissement des dépenses publiques. On s’attendait alors à un poids élevé et croissant des redevances fiscales. Cependant, loin de constater un alourdissement de la pression fiscale, nous avons assisté plutôt à la faiblesse permanente des organismes de perception, le recours persistant à la fraude fiscale et à la généralisation d’une économie plutôt informelle échappant au contrôle des pouvoirs publics. L’Etat et les collectivités territoriales en sont sortis dépourvus de moyens nécessaires à la conduite de leurs missions. Au bout du compte, la population se retrouve engluée dans une pauvreté persistante qui s’est aggravée au fil des années. Le bien-être de la société tant rêvée n’aura été que chimère.

 

Les difficultés liées à la structure informelle de l’économie rendent certainement plus hasardeuses les mesures de politique fiscale. La structure d’imposition optimale ne peut pas être établie à cet effet. L’incapacité des organismes de perception à soumettre les activités informelles à la réglementation a généré des distorsions indésirables de la vie économique nationale. Plus de trente ans après l’adoption de la Constitution, laquelle a dessiné un excellent projet de société, les pouvoirs publics vivotent dans la pauvreté, l’improvisation et la corruption.

 

La réforme fiscale demeure alors, en définitive, à l’ordre du jour. Les institutions fiscales doivent être renforcées. Les contributions doivent être effectivement perçues. La recherche de l’équité, à travers une fiscalité progressive et redistributive, doit être également au centre de ce combat. Cela devrait à terme diminuer les inégalités de revenus. Les fossés ayant été creusés depuis très longtemps déjà laissent subsister des différences considérables. Les facteurs qui ralentissent l’effet de redistribution doivent ainsi être l’objet d’une attention particulière. En tout état de cause, le Guide pratique du contribuable de André Lemercier Georges constitue, à n’en point douter, une contribution certaine dans l’érection de cet Etat prescrit par la Constitution.

 

Enex Jean Charles

Professeur de Droit Administratif

Ex-Secrétaire Général du Conseil des Ministres

Ancien Premier Ministre de la République d’Haïti